TAUROMACHIE

TAUROMACHIE
TAUROMACHIE

TAUROMACHIE

Qu’une corrida organisée aujourd’hui à Séville ou à Nîmes ait fort peu à voir avec le sacrifice d’un taureau dans la Crète minoenne, et que le spectacle, sinon le commerce, ait progressivement supplanté le rite et le sacré comme il en va souvent au cours de l’histoire — celle du théâtre notamment —, il n’en est pas moins vrai que le combat et le sacrifice des taureaux sont ancrés dans de très profondes traditions méditerranéennes. Ce qu’il importe de préciser pourtant, c’est que combat et sacrifice, l’un plus «sportif», l’autre éminemment religieux, se sont souvent succédé ou associés, l’animal sauvage étant réclamé par les jeunes gens de la communauté pour être hardiment combattu avant d’être remis aux prêtres pour l’acte rituel. Ainsi en allait-il notamment en Thessalie au cours des sept ou huit siècles qui précèdent notre ère et, plus anciennement encore, en Crète: les vestiges de tels combats sont repérables sur de nombreuses poteries que ces civilisations ont laissées.

Si, de tous les pays méditerranéens, c’est l’Espagne qui a maintenu cette double tradition, c’est parce que les troupeaux de taureaux sauvages y étaient nombreux et aussi parce que les cultes païens y ont mieux résisté, se fondant plus intimement qu’ailleurs, sinon en Sicile, dans le rituel chrétien. Contrairement à ce qui est souvent écrit, le long pouvoir des royaumes arabes d’Andalousie n’y a pas contribué à l’implantation de la tauromachie, sinon comme une incitation aux chevaliers chrétiens de s’astreindre à un «entraînement» militaire, surtout équestre, dont le combat avec les taureaux était l’une des manifestations les plus dangereuses et les plus communes.

La corrida ne commença qu’au XVIIIe siècle à prendre les formes qu’on lui connaît aujourd’hui, le déclin de la chevalerie dû au retour de la paix ayant progressivement fait passer l’acte tauromachique du cavalier au piéton, du seigneur au belluaire roturier. C’est dans une petite cité montagnarde de l’Andalousie occidentale, Ronda, sauvagement agrippée à la sierra qui domine Málaga, que furent élaborées les règles de la corrida moderne, par Francisco Romero, dont le neveu, Pedro Romero, fut le premier des grands «matadors» de l’histoire. C’est alors que la corrida s’organise en trois «tercios» — de piques, de banderilles, de «muleta» celui-ci conduisant à la mise à mort d’un taureau qui ne saurait être âgé d’abord de moins de cinq ans, puis de quatre.

Tout au long du XIXe siècle, la tauromachie évolue, s’amplifie et s’affine à la fois, sous le regard pénétrant et passionné de Goya. De l’âpre combat qu’elle était au moment où Francisco Romero la «civilise», elle se transforme progressivement en un art raffiné, qui exige du matador non plus seulement la fermeté d’âme et la vigueur du bras, mais le style, la beauté du geste et même, à partir de la fin du siècle, une certaine lenteur hiératique — cette lenteur qui, contrastant avec la fougue bouillonnante de la bête sauvage, donne son étrange saveur, sa signification d’antithèse à l’acte tauromachique.

La corrida telle que Théophile Gautier la raconte et la décrit dans son excellent Tras los montes a d’ores et déjà ses héros et ses hauts lieux, ses publics diversifiés, ses élevages, ses traditions, ses adversaires aussi: on adule Pepe Hillo, qui mourra dans l’arène, transpercé par la corne d’un taureau sous l’œil de la duchesse d’Albe; on admire Cucharés, on s’enthousiasme pour le beau Lagartijo avant de faire de Guerrita, à la fin du siècle, l’égal d’un grand d’Espagne: et la corrida espagnole, avant même de devenir populaire en Amérique latine (Mexique, Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou), franchit les Pyrénées. Dès l’époque du second Empire, plus ou moins sous l’influence de l’impératrice qui en raffole comme son cher Mérimée, la corrida s’implante à Bayonne et dans le Sud-Ouest, ainsi qu’à Nîmes et en Arles, où elle se marie avec les différents jeux traditionnels des «bious», les taureaux de Camargue. Les luttes pour ou contre le développement de la tauromachie à l’espagnole défraieront pendant de longues années la chronique, celle des tribunaux notamment. La «normalisation» n’intervient qu’au milieu du XXe siècle avec la reconnaissance de la corrida comme une tradition culturelle à respecter dans les régions où elle est implantée depuis de longues années. La tauromachie est déjà établie comme un art rituel dès le début du XXe siècle avec ses courants, ses écoles, ses tendances ethno-culturelles — fleurie et variée en Andalousie occidentale autour de sa capitale, Séville; plus austère et retenue, plus noble aussi en Andalousie orientale, à partir de son berceau de Ronda; plus rigoureuse, plus dépouillée encore en Castille, de Salamanque à Madrid, et s’épanouissant dans le style baroque en Amérique latine, au Mexique surtout, sans parler de la saveur pittoresque incomparable que lui donnent ici et là des interprètes gitans. Et un type de taureau, élevé notamment dans la marisma andalouse et campo charro de Salamanque, s’est précisé, plus long et lourd du côté de Séville et de Jérez, plus nerveux et ramassé en Navarre.

Telle qu’on peut l’observer aujourd’hui, la corrida a probablement connu son apogée à la fin de la Première Guerre mondiale, au temps où rivalisèrent les deux plus grands toreros connus, ou en tout cas les deux plus significatifs de ceux dont peuvent encore parler des témoins dignes de foi: José Gómez, dit «Joselito», ou «Gallito», et Juan Belmonte, tous deux Sévillans, le premier de mère gitane et doublé d’un frère, dit «El Gallo», dont certains affirment qu’il fut en réalité, sinon le plus grand, au moins le plus inventif et le plus artiste de tous. C’est à la faveur de cette rivalité entre l’athlète de la tauromachie que fut Joselito, jouant avec une admirable aisance de moyens physiques exceptionnels qui firent de lui le dernier des grands belluaires, et le chétif Belmonte au visage torturé — le premier évadé d’une toile de Velásquez, le second prisonnier d’une eau-forte de Goya — que la corrida s’épanouit et trouva son sens, moins celui d’un combat que d’une recherche esthétique fondée sur ces deux principes, dès longtemps énoncés mais qui prirent alors force de loi: templar (accorder, apaiser) par quoi le torero agit sur le rythme de charge du taureau et ajuste celle-ci à son propre geste; et cargar (charger) par quoi l’homme, se plaçant sur l’axe de la charge du taureau, lui impose non seulement son rythme, mais une autre trajectoire: ainsi l’animal est changé dans le temps et dans l’espace; il est dominé, et la mise à mort n’intervient plus que comme une conclusion, toujours périlleuse.

Ce mouvement d’approfondissement, ce raffinement de l’acte tauromachique, marqué par quelques grands noms — ceux de Chicuelo, de Marcial Lanlanda, de Domigo Ortega, de Gaona le Mexicain, de Pepe-Luis Vázquez, de Manolete, de Luis-Miguel Dominguín et d’Antonio Ordóñez —, fut quelquefois rompu ou dévié par quelques toreros ramenant, spontanément ou non, la tauromachie à ses origines de combat échevelé, dédaigneux des règles: tel fut le cas du célèbre Manuel Benítez, dit «El Cordobés», au cours des années 1960. Mais ce combat n’avait pourtant pas retrouvé sa pureté originelle: car, si les soucis esthétiques des héritiers de Belmonte, puis de Manolete, avaient contribué à affaiblir la race des taureaux — il n’était pas possible d’exécuter les figures exigées par le public contemporain devant les bêtes que combattaient Cucharés ou Guerrita —, la vogue du Cordobés et de ses émules marqua un moment de crise, avant que l’on assiste au retour de styles plus classiques, mais non sans panache, représentés notamment par José Maria Manzanares, Paco Ojeda, Juan Antonio Ruiz «Espartaco», ou encore Juan Serrano «Finito de Cordoba» et Enrico Ponce.

tauromachie [ tɔrɔmaʃi ] n. f.
• 1831; de taureau et -machie
1Vx Course de taureaux. Les tauromachies de Goya, suite d'eaux-fortes.
2Mod. Art de combattre les taureaux dans l'arène. Les lois, les règles de la tauromachie. Adj. TAUROMACHIQUE , 1831 .

tauromachie nom féminin (grec tauros, taureau) Art de combattre les taureaux de race sauvage dans un affrontement dont la forme la plus répandue est la corrida.

tauromachie
n. f. Art de combattre les taureaux dans l'arène, de toréer. Les règles de la tauromachie.

⇒TAUROMACHIE, subst. fém.
A. — Vx. Combat ou course de taureaux dont la forme la plus répandue est la corrida. Avides d'émotions autant que les péninsulaires ibériens, si dévots aux immémoriales tauromachies, et non moins que tous les Gallo-Romains épris aujourd'hui, comme leurs pères jadis, d'athlètes et de belluaires (CLADEL, Ompdrailles, 1879, p. 244). Je suivrais les combats de coqs dans le Nord, les tauromachies dans le Midi (BARRÈS, Cahiers, t. 9, 1911, p. 77). P. métaph. L'excitation de cette longue tauromachie parlementaire empêchait, en décembre-janvier, Sturel de dormir (BARRÈS, Leurs fig., 1901, p. 181).
ARTS. Les tauromachies de Goya. Suite d'eaux-fortes célèbres. Ortègue possédait (...) l'ébauche d'un cavalier par Velazquez et une tauromachie de Goya (BOURGET, Sens mort, 1915, p. 19).
B. — Art de combattre les taureaux dans un affrontement dont la forme la plus répandue est la corrida. Manuel, professeur de tauromachie; lois, règles, vocabulaire de la tauromachie. Pour quelqu'un qui entend un peu la tauromachie, c'est un spectacle intéressant que d'observer les approches du matador et du taureau qui, comme deux généraux habiles, semblent deviner les intentions l'un de l'autre (MÉRIMÉE, Mosaïque, Lettres Esp., 1833 [1830], p. 265). Je ne comprends la protestation contre les courses que de ceux qui protestent en même temps contre la chasse, contre la pêche, contre la domestication de l'animal (...). Les autres n'ont rien à dire et leurs attaques contre la tauromachie sont ou de la politique ou de la nervosité (MONTHERL., Bestiaires, 1926, p. 448).
REM. Tauromachite, subst. fém., iron. Passion excessive pour la tauromachie. Nous entrâmes dans une ère de tauromachite aiguë (LORRAIN, Âmes automne, 1898, p. 147).
Prononc. et Orth.:[], [-]. V. taureau. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1830 (MÉRIMÉE, Lettre au Directeur de la R. de Paris, Madrid, 25 oct. [publ. ds la R. de Paris, janv. 1831, t. XXII, pp. 30-43] ds Œuvres compl., t. 11, Mosaïque, éd. M. Levaillant, p. 265). Formé du lat. taurus, v. taureau et de l'élém. -machie, sur le modèle de naumachie ou empr. au gr. « combat de taureaux » comp. de « taureau » et de -, v. -machie. Fréq. abs. littér.:15.
DÉR. Tauromachique, adj. Qui se rapporte aux courses de taureaux, à la tauromachie. Synon. taurin. Art, fête, formation, histoire, milieu, passion tauromachique; lois, règles tauromachiques. Souvent aussi la douleur des coups de lance le décourage, et alors il [le taureau] n'ose plus attaquer les chevaux, ou, pour parler le jargon tauromachique, il refuse d'entrer (MÉRIMÉE, Mosaïque, Lettres Esp., 1833 [1830], p. 261). Le problème, dit un journaliste tauromachique, n'est pas de savoir comment il [El Cordobés] est devenu ce qu'il est (...). Le problème est de savoir si l'industrie de la tauromachie, je veux dire tous ceux qui tirent les ficelles de cette entreprise, n'est pas en train de fabriquer, à tout prix, un autre Cordobés (Le Figaro littér., 19 août 1968, p. 26, col. 3). — [], [-]. V. taureau. — 1re attest. 1830 (MÉRIMÉE, Lettre au Directeur de la R. de Paris, Madrid, 25 oct. [publ. ds la R. de Paris, janv. 1831, t. XXII, pp. 30-43] ds Œuvres compl., t. 11, Mosaïque, éd. M. Levaillant, p. 261); de tauromachie, suff. -ique.

tauromachie [tɔʀɔmaʃi] n. f.
ÉTYM. 1831, Mérimée; du rad. de taureau, et -machie.
1 Vx. Course de taureaux. Course, corrida. || Les tauromachies de Goya, suite d'eaux-fortes célèbres.
0 C'est dans cette place que Lord Byron a vu la course dont il donne (…) une description poétique, mais qui ne fait pas grand honneur à ses connaissances en tauromachie.
Th. Gautier, Voyage en Espagne, p. 265.
2 Art de combattre les taureaux dans l'arène. Torero. || Les lois (→ Estocade, cit. 2), les règles, les grands noms de la tauromachie. || Vocabulaire de la tauromachie. Taureau.
REM. Les spécialistes de la tauromachie emploient un très grand nombre de mots empruntés à (ou calqués sur) l'espagnol.
DÉR. Tauromachique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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